Dans l’ordre : Blade Runner, Arrival et Inception, voilà ma semaine ciné. Au fond, je crois que je voulais regarder Stalker ou Solaris, de Tarkovski, sans en avoir le courage (ni la plateforme de streaming) : je rêvais de voir des images grandiloquentes composées comme des tableaux, je voulais être interrogé sans doute, sur mon rapport à l’image, au beau, et être jeté dans des réflexions identitaires, voire métaphysiques, sur notre rapport au temps, qui nous sommes, au fond, sur cette échelle, interroger nos croyances sur la vraisemblance de nos perceptions et la réalité. Rien que ça. Mais ces cinéastes (Villeneuve et Nolan), estampillés Hollywood, sont des réalisateurs à qui l’on accorde la liberté de faire des films d’auteurs sur la trame de Blockbusters. Et à mon sens, c’est plutôt réussi.
On commence la semaine avec Blade Runner, bien sûr, ai-je envie d’ajouter. Bien sûr ?J’ai découvert la version originelle de Blade Runner alors que j’etais ado, et c’est peu dire que ce chef d’oeuvre de Ridley Scott m’a fasciné, et à quel point j’ai usé la vieille bande VHS sur mon magnétoscope : impossible de dire combien de fois j’ai visionné ce film – comme Paris Texas -, pour en tirer la substantifique moelle, approcher le génie “inspirationnel” de ce film. Combien de films de sf et autres se sont inspirés de son atmosphère sombre, pluvieuse, comme un rêve d’Asie labyrinthique, peuplé de néons, de fumée et de l’odeur de la soupe de nouilles avalée à la hâte au coin d’une ruelle sombre. Dois-je rajouter, au passage, que la lecture du roman éponyme de Philippe K Dick, qui a inspiré le film, faisait également partie de mes livres de chevet de quand-je-serai-grand-je-serai-romancier-de-sf ?Gros morceau, donc.
Mais c’est bien de Blade Runner 2049 dont il s’agit ici, et on se rend compte à quel point la barre était haute pour Denis Villeneuve quand il a décidé de réaliser une suite à ce monument de sf et de sous-culture cyberpunk dystopique. Mais il faut croire qu’il apprécie ce genre de challenge, si l’on en croit le choix de l’adaptation de Dune, réalisée depuis, et réputée inadaptable.
Alors, qu’est ce qui se passe (dans l’espace) ?Ryan Gosling prête ses traits à K, agent Blade Runner de la période post chaos, chargé, comme Deckard (Harrison Ford) au bon vieux temps, de zigou… euh, retirer les humanoïdes génération Nexus 8, désormais obsolètes, de la surface de la terre. Rien de plus classique pour un Blade Runner, sauf que la vérité nous est offerte d’emblée concernant l’identité de K : il est lui-même un humanoïde, de dernière génération, dont la perfection ne sert qu’à cette tâche ingrate qu’on lui a confiée lors de sa création : anéantir ses prédécesseurs. Quelques doutes s’installent au fur et à mesure du récit, au gré des personnages rencontrés, quant au bien fondé de ses actes et se transforme peu à peu en quête identitaire, au carrefour de cette réflexion, classique désormais dans le genre sf : qu’est ce qui définit notre humanité, au fond ? Bonne question.
Séquence d’ouverture. On survole des champs d’une blancheur absolue, on est avec K à l’intérieur de sa voiture volante trop coole, et on se surprend à craindre que le film soit en noir et blanc, et se demander si le sol aperçu en dessous est enseveli par la neige ou des cendres, avant de réaliser qu’il s’agit de champs de panneaux solaires : on est dans le futur, toutes les couleurs ont disparu avec les plantes, la surface de la terre est devenue un nuancier de gris à perte de vue. Ambiance.Cela me rappelle Antonioni, qui avait fait repeindre les arbres d’une forêt en gris pour que l’arrière plan du “Désert Rouge” soit aussi monotone que l’humeur de son personnage principal, et d’emblée Villeneuve nous annonce qu’il va utiliser également le cadre comme un tableau pour dépeindre le propos de ce monde futuriste. Mais ça, évidemment, on s’en doutait.Le monde d’après est gris, donc, mais il est aussi orange pour révéler un Las Vegas post radiation aux couleurs d’un voyage sur Mars, comme si on ne pouvait y respirer sans combinaison d’astronaute – peut-on y respirer à l’air libre ? – ; il est noir aussi, bien sûr, car Blade Runner utilise les codes du polar pour ce film noir du futur, forcément poisseux, où l’obscurité n’est tranchée que par des néons multicolores, rose et bleu, comme des faisceaux de lumières qui découperaient l’obscurité d’un monde crépusculaire. C’est une esthétique que Blade Runner a apporté à l’univers de la sf dystopique comme un élément de langage incontournable, et pour cette suite, Villeneuve ne déroge pas à cet règle et tant mieux : c’est beau.A mon goût, tout du moins, comme cette musique de Hans Zimmer qui fait mine d’imiter les thèmes de Vangelis, sur une séquence ou deux, comme un hommage à Blade Runner premier du nom, avant de nous emporter vers des élans bruitistes et viscéraux, oserais-je, lorsque l’on retrouve Los Angeles depuis le ciel, dans une nuit brumeuse et sale, presque plus sombre encore que la ville que nous avions laissé derrière nous en 1982 / 2019 : forcément, nous sommes aujourd’hui en 2017 / 2049, et le futur est derrière nous, désormais.
On peut reprocher à Ryan Gosling son air apathique et identique d’un rôle à l’autre, mais il me semble que le rôle de K lui convient parfaitement : on cherche dans ses expressions mutiques et son allure d’humanoide égaré dans le futur comme débarqué là par hasard – et sans doute par erreur -, cette petite fissure, l’interstice à peine visible d’un questionnement qui se cherche un chemin dans la conscience de K, et au fur et à mesure que son enquête avance, le doute s’installe en lui : si les souvenirs implantés dans son cerveau sont réels, se peut-il que que Ryan Gosling soit un humain ?
Non. C’est impossible (ou alors, presque, dans le rôle du pianiste de jazz dans Lalaland), et la séquence où K (re)découvre que non, il n’est pas un humain, n’est pas la plus convaincante, peu importe, cet humanoïde résigné à n’être que ce qu’il est a quelque chose d’attachant.
Citation :“Tu as cru que tu pouvais être humain ?” (Elle rit)
Ce n’est pas notre capacité d’acceptation de l’autre et de sa différence qui font de nous des êtres humains, c’est un fait, tant K doit essuyer de moqueries et remarques xénophobes de la part des humains. Du harcèlement, ça t’apprendra à être un humanoïde, et pour nous c’est une thématique moderne aujourd’hui, cette notion d’inclusion, pour que personne ne se sente exclu.e.s, le respect des particularismes érigés parfois comme des dogmes, forcément indépassables.
Mais je m’égare. Blade Runner 2049 est un film riche d’effets visuels, originaux et inventifs parfois (cf of course la scène d’Amour entre K et son IA), qui a le bon goût, à mon sens, de moins chercher la surenchère de l’enchaînement des plans et autres prouesses techniques propres aux Blockbusters, qu’une forme de poésie visuelle dans la couleur des plans, autant de tableaux cinématographiques que la bande son et la musique viscérale de Hans Zimmer vient parfois souligner, voire appuyer fortement sur notre boîte crânienne.